Née en France, actuellement en phase de finalisation d’un Executive Master en Management – spécialisation Finance à HEC Paris, ainsi qu’un parcours professionnel bien rempli entre l’hexagone et d’autres pays européens, Mme Lynsay MABE a décidé de s’installer en Côte d’Ivoire, depuis 2023, pour selon elle, vivre son « African Dream ». Dans une interview exclusive accordée à la rédaction d’africanartists.ci, la gérante associée du cabinet KIBALII PARTNERS, un cabinet de conseil financier et d’intelligence économique, basé à Abidjan, spécialisé dans l’accompagnement des PME et particulièrement des entreprises de l’écosystème ICC (Industries Culturelles et Créatives), s’est exprimée sur sa mission, ses objectifs, ses projets concernant l’industrie culturelle et artistique en terre d’Eburnie, en Afrique et dans le monde. Mme Lynsay MABE souhaite faire en sorte que l’accès au financement ne soit plus un frein pour les ICC et les PME, véritables moteurs du développement socio-économique africain. Découvrons ensemble cette grande Dame, qui se positionne comme un trait d’union entre la culture et la finance.

Africanartists.ci : Qui est Lynsay MABE ?
Lynsay MABE : Je suis Gérante Associée du cabinet KIBALII PARTNERS, un cabinet de conseil financier et d’intelligence économique basé à Abidjan, spécialisé dans l’accompagnement des PME et particulièrement des entreprises de l’écosystème ICC. De la structuration financière à la recherche et négociation de financement, nous les accompagnons dans leur projet de croissance externe. Je suis également Directrice Administrative et Financière d’une société de production audiovisuelle de la place.
Professionnellement, je suis, avant tout, une analyste financière. J’ai exercé plus de 15 ans dans le secteur bancaire et des fonds d’investissement entre Luxembourg, Londres et Paris, occupant des fonctions de contrôle et de management – gestion des risques, contrôle interne, gouvernance d’entreprise avant d’orienter ma carrière vers la finance d’entreprise et le conseil.
Depuis 2013, j’évolue à la croisée de la finance et des industries culturelles et créatives, avec un engagement fort pour développer des mécanismes facilitant l’accès au financement des acteurs de ce secteur.

Africanartists.ci : Pourquoi avez-vous réellement décidé de vous lancer dans l’industrie de l’art de la Culture ?
Lynsay MABE : En toute honnêteté, tout cela partait d’une véritable quête identitaire pour la déracinée que j’étais. Mon premier voyage au Cameroun en 2012, mon pays d’origine, a été un véritable déclic : j’ai découvert la richesse culturelle de mes racines et réalisé que, comme beaucoup d’afro-descendants nés ou ayant grandi à l’étranger, je portais parfois des a priori inconscients.
De retour en Europe, je me suis officiellement engagée dans l’industrie culturelle et créative en 2013, alors que je vivais au Luxembourg. J’y ai fondé une association, LIKABA, qui signifie “le partage” en Bassa’a, une langue du Cameroun, dédiée à la promotion des cultures afro-caribéennes que j’ai eu l’honneur de présider pendant 10 ans. L’association est d’ailleurs toujours très active.


Au fil des années et des événements, en côtoyant ces nombreux artistes, j’ai commencé à les accompagner sur leurs modèles économiques, puis à formaliser cet engagement par la création d’une entreprise d’événementiel et de gestion de talents créatifs pendant la crise sanitaire de 2020. Mon installation en Côte d’Ivoire a marqué un recentrage sur l’accès au financement, tout en gardant un attachement profond à l’événementiel, que je n’exclus pas de reprendre un jour.

Africanartists.ci : Que pensez-vous apporter de nouveau au monde de l’art et aux artistes ivoiriens ?
Lynsay MABE
: Je me vois comme un trait d’union entre la culture et la finance. Avec près de 17 ans d’expérience dans l’industrie financière et plus de 10 ans d’engagement auprès des créateurs, j’accompagne les talents créatifs dans leur structuration, leur accès au marché et surtout leur accès au financement.

Ma valeur ajoutée se déploie particulièrement auprès de créateurs en phase d’accélération ou de maturité : ceux qui ont à minima un produit minimum viable (MVP), une bonne connaissance de leur marché, une traction commerciale et qui cherchent à passer à l’échelle.
En Côte d’Ivoire, le vivier de talents est immense et couvre tous les secteurs des ICC : musique, mode, arts visuels, audiovisuel, médias… Mon ambition est de réduire l’écart entre la culture et la finance, en rapprochant les créateurs des bailleurs de fonds et en contribuant à créer des opportunités concrètes de croissance.

Africanartists.ci : Quels sont vos objectifs, vos projets à court et long terme ?
Lynsay MABE
: Ma mission est de faire en sorte que l’accès au financement ne soit plus un frein pour les ICC et les PME, véritables moteurs du développement socio-économique africain.
À court terme :
• Finaliser l’étude menée par notre unité d’intelligence économique sur le portrait économique des ICC à Abidjan, que nous réalisons avec le ministère de la Culture et de la Francophonie et de nombreux acteurs du secteur ;
• Étendre cette étude à l’échelle nationale, et pourquoi pas à d’autres régions du continent ;
• Renforcer la présence de KIBALII PARTNERS comme partenaire stratégique des ICC ;
• Achever ma thèse à HEC Paris sur le développement d’un modèle d’évaluation des risques adapté aux ICC.
À long terme :
• Créer un véhicule d’investissement dédié aux ICC en Afrique francophone, afin de compléter le rôle de conseil et de facilitation par un véritable apport de capitaux, et ainsi de soutenir durablement la croissance de l’écosystème créatif.

Africanartists.ci : Selon vous, que faut-il réellement pour que l’artiste vive de son art de façon concrète ?
Lynsay MABE
: Selon moi, pour qu’un artiste puisse vivre de son art, plusieurs composantes doivent être prises en compte. En voici quelques unes qui me paraissent essentielles :

  • Professionnalisation : combler les manques dans la formation technique selon les secteurs, développer les soft skills et la dimension entrepreneuriale
  • Accès au marché : multiplier les plateformes et circuits de diffusion, localement et à l’export.
  • Diversification des revenus : proposer des produits dérivés, favoriser les collaborations, organiser des événements/pop-ups offrir des services complémentaires autour de son art
  • Structuration et financement : passer d’une dépendance aux subventions (car oui, l’Afrique souffre du syndrome de la main tendue.) à un modèle économique viable et attractif pour des investisseurs.
  • Information : beaucoup d’organismes publics et privés existent pour les artistes, il leur revient à chercher les bonnes informations, car personne ne fera leur part.
  • Infrastructures et cadre réglementaire : créer davantage d’espaces de créations et d’expression, davantage de politiques publiques favorisant la création et la diffusion.
    En résumé, je dirais qu’il est essentiel de renforcer les compétences techniques et non techniques, d’améliorer la structuration et de développer une véritable vision entrepreneuriale. Et, lorsqu’ils ne maîtrisent pas certains aspects, de ne pas hésiter à se faire accompagner.

Africanartists.ci : Que pouvez-vous dire à ces jeunes qui envisagent d’embrasser une carrière dans l’art ?
Lynsay MABE
: Aujourd’hui, les ICC sont un secteur stratégique et reconnu. Ce qui était perçu comme un divertissement est désormais identifié comme un véritable moteur de croissance économique, soutenu par les plus hautes autorités et des institutions de renom.
À vous, jeunes créateurs
:

  • Ne vous decouragez pas si le succes tarde a venir
  • Voyez chaque obstacle comme une opportunité
  • Pensez votre art aussi (pour ne pas dire surtout) comme une activité économique et osez « disrupt the game » pour vous différencier.
  • Osez « disrupt the game » pour vous différencier.

Les projecteurs sont sur vous. Soyez fiers, ambitieux et faites rayonner vos créations à l’échelle nationale et internationale.

Africanartists.ci : Votre mot de fin.
Lynsay MABE :
L’essor de l’art et de la créativité repose sur bien plus que le talent : il exige formation, information, accompagnement, et une volonté publique forte. Les faiblesses de l’écosystème doivent être vues comme des opportunités. Les talents qui se démarquent sont ceux qui osent casser les codes, se différencier et affirmer leur authenticité…unapologetically !
La Côte d’Ivoire n’en est qu’aux prémices, mais elle est sur la bonne voie pour voir éclore encore plus d’artistes de renommée internationale. Merci à africanartists.ci pour cette interview, qui m’a permis de revisiter mon parcours et de me conforter dans l’idée que je suis exactement là où je dois être.

Christian BOLI