Un corps qui crie, une scène qui résonne . Il fallait y être, pour tenir entre ses mains, sa tête, bouleversé par une performance artstique remarquable. “Burn Out” d’Alexia Effoa a transcendé l’épuisement par la danse .Ce samedi 30 août dernier, au Centre international Georges Momboye à Abidjan, la chorégraphe ivoirienne Effoa a littéralement livré son corps à la scène, dans une performance habitée et viscérale. Retour sur une scène inoubliable.

À travers son solo Burn Out, Alexia Effoa ( Alexia Groga ) a incarné avec intensité les failles, les tensions et les fractures invisibles de l’épuisement mental, émotionnel et physique. Dans un espace scénique circulaire et immersif, son langage corporel, à la fois brut et finement chorégraphié, a transformé chaque geste en cri, chaque suspension en soupir. Alexia Effoa confirme, avec éclat, qu’elle est une voix corporelle qui compte dans la jeune scène contemporaine ivoirienne.

Une attente palpable, une artiste incandescente

La salle était comble. Une centaine de spectateurs (professionnels de la danse, critiques, proches, curieux) attendaient de voir comment Alexia allait mettre en mouvement l’épuisement. Comment, durant deux heures, elle allait incarner ce titre lourd de sens : Burn Out. À 20h précises, les projecteurs s’allument, la scène respire. Le portail s’ouvre. Et le corps d’Effoa la Belle entre en transe.

Alexia Effoa, une chorégraphe à fleur de peau

Formée au marketing, mais appelée par le mouvement, Alexia Effoa opère une fusion rare entre sensibilité féminine, physicalité brute et urgence chorégraphique. Depuis son premier court-métrage Dépen-danse (juillet 2024) jusqu’à “Le Cri de Minuit”, sa première pièce inspirée d’une parabole biblique, elle tisse un style personnel: organique, dense, narratif. Avec Burn Out, mise en scène par le talentueux Sanga Ouattara (lauréat au concours Premio Roma Danza à Rome en 2022) , elle atteint une nouvelle intensité dramatique. Ensemble, ils chorégraphient l’érosion d’un corps sous pression : déséquilibre, crispation, relâchement, puis reconquête du geste. Le corps devient lieu de combat et de résilience.

Une scénographie vivante, une dramaturgie corporelle

L’entrée en matière est saisissante. Alexia, statique sous une douche de lumière chaude, accueille le public qui lui remet des classeurs. Ces objets anodins deviennent symboles, poids du monde, de la charge mentale, de l’attente sociale. Peu à peu, elle ploie, s’effondre. Dès cet instant, la danse commence comme une chute. La scénographie, conçue en carré, place les spectateurs au cœur du dispositif. Ils ne sont plus de simples observateurs, mais vecteurs de charge. Ce geste participatif “donner un classeur” fait du public le chorégraphe du chaos.

Éclairage, son et costume : un triptyque minimaliste mais expressif

Les douches chaudes ( parfois froides), omniprésentes, créent un contraste entre enveloppe rassurante et tension interne. Le paysage sonore, subtil et sensoriel (cris d’animaux, vents, grondements, bruits), renforce la sensation d’un univers extérieur oppressant, résonnant avec un tumulte intérieur. Le costume, épuré, sans artifice, ancre Alexia dans une réalité universelle. Elle est toute femme, toute personne. Un corps devenu vecteur d’une émotion exceptionnelle. Sa coiffure naturelle, ses pieds nus, rien ne distrait du langage corporel. Tout se dit par le mouvement, l’impulsion, l’effort.

Quand le corps devient percussion : une partition charnelle

Parmi les moments les plus marquants, celui où Alexia entame une séquence de “body percussion” : elle frappe ses cuisses avec les classeurs, transformant son corps en instrument rythmique. Chaque son produit par le contact entre chair et matière résonne comme un signal d’alarme. Ses pieds, serrés, tremblants, traduisent l’enfermement. Elle vacille, se désaxe, chute parfois, pour mieux se redresser. Chaque déséquilibre est une phrase, chaque relèvement une réponse. La danse est traversée de tensions, d’accélérations, de ruptures, mais jamais de chaos gratuit. Tout est une écriture dansée.

Une esthétique du “jazz chorégraphique”

Le vocabulaire gestuel d’Alexia s’inscrit dans ce qu’on pourrait nommer un “jazz chorégraphique” : une gestuelle syncopée, vibrante, parfois dissonante, mais toujours expressive. On perçoit des influences du jazz, de la danse contemporaine, de la danse africaine postmoderne, et même des éclats de ballet. Les déséquilibres contrôlés, les sauts avortés, les respirations marquées construisent une narration abstraite mais profondément émotionnelle. La danse devient langue de l’âme, transcrite par le corps.

Une lumière trop figée pour une danse en mouvement

Le seul bémol de cette soirée était la fixité de l’éclairage. Faute de projecteurs motorisés, l’éclairage est resté statique. Or, la lumière est un partenaire de scène, un sculpteur d’émotion. Sans ses déplacements, l’interprète se trouve confinée dans une zone rigide, perdant ainsi une part de sa liberté scénique.

Le regard du spectateur n’est plus guidé. Le drame chorégraphique reste à plat dans certaines séquences. Ce n’est pas une erreur du régisseur Cédric K., mais un manque de moyens techniques. Malgré cela, Alexia Effoa a su remplir l’espace de sa seule présence.

Un geste fort, une chorégraphe à suivre

En conclusion, avec Burn Out, Alexia Effoa propose une œuvre forte, dense, et viscéralement humaine. Sa danse est un cri silencieux, une lutte dansée, un effondrement mis en scène avec justesse. Elle transforme son propre corps en lieu de mémoire, d’usure et de renaissance. Si vous voyez passer son nom, n’hésitez pas. Derrière cette silhouette noire, mi-assise, mi-debout, se cache une artiste entière. Une étoile montante de la scène chorégraphique ivoirienne, à suivre absolument qui obtient la note de 8,5/10 pour Burn Out.

Christian Guehi
Journaliste culturel et critique d’art